Structures de migration dans le manteau d’Oman
Une étude de longue haleine de la répartition des différents types
pétrologiques de structures de migration magmatique affleurant dans le
manteau d’Oman (un millier d’échantillons analysés à la microsonde et
prélevés le long des 400 km de l’ophiolite, en particulier dans le cadre
de la thèse de Marie Python) a débouché sur des résultats originaux et
solidement établis concernant la genèse et la mise en place des magmas
en contexte d’expansion océanique (nature des magmas alimentant la
section crustale, mélanges des fractions magmatiques dans le réseau de
draînage, tamponnage de la composition des MORBs par les processus de
migration, fractionnements profonds, focalisation du magmatisme à l’axe
des dorsales, …). Par exemple, sur l’image ci-dessous, on voit que la
répartition des structures de migration dans le manteau d’Oman
(différentes couleurs sur la carte) n’est pas aléatoire. En particulier
les chenaux de troctolite (en rouge), c’est-à-dire les zones de
circulation de MORB à haute température (circa 1200°C), se concentrent
dans quelques secteurs bien délimités dont le plus étendu est un couloir
long de 80 Km et large d’une vingtaine de Km, parallèle à l’axe de la
paléo-dorsale.
Il y a quelques années, nous avons suggéré, sur base pétrographique et
géochimique qu’une proportion très importante des filons présents dans
la section mantellaire de l’ophiolite d’Oman était issue de la fusion
hydratée de la lithosphère résiduelle à faible profondeur et ne peuvent
donc être expliqués dans le schéma classique de genèse des basaltes de
type MORB par décompression adiabatique du manteau (Benoit, Ceuleneer,
Polvé, Nature, 1999). Nos observations récentes (Python et Ceuleneer,
2003) ont permis de préciser l’importance de ce processus : des massifs
entiers (i.e. des secteurs d’une centaine de Km) n’ont pas « enregistré »
le passage de magmas de type MORB mais renferment d’abondantes reliques
de pegmatites de parenté boninitique (en vert et orange sur la carte
ci-dessus), attestant de la fusion hydratée de la lithosphère. Nous
avons par ailleurs observé des évidences de circulations hydrothermales
de très haute température (circa 700°C-900°C) dans les péridotites
d’Oman sous forme de filons de diopsidites gemmes à structures de type
skarn (cf partie prospective).
Nous pensons aussi que la formation de corps granitiques, peu abondants
mais ubiquistes dans la section mantellaire d’Oman, peut également
s’expliquer dans le cadre de processus similaires. Dans une étude
récente effectuée dans le cadre de la thèse d’Isma Amri (Amri,
Ceuleneer, Benoit, Valladon, soumis à Contrib. Mineral. Petrol.), nous
montrons que, contrairement au modèle classique (intrusions de magmas «
exotiques » produits par fusion de la semelle métasédimentaire), une
partie des corps granitiques présents en Oman peut se former par fusion
incongruente des pyroxènes des harzburgites, les éléments alcalins étant
apportés par les fluides hydrothermaux. L’argumentation combine les
évidences de terrain (présence systématique d’épontes dunitiques autour
des corps granitiques), et les arguments géochimiques (très faible
teneur en Al de ces granites par rapport aux granites d’origine
metasédimentaires, déplétion anormale en éléments traces incompatibles,
sauf ceux transportés par les fluides hydrothermaux comme le Ba,
corrélation entre la teneur en Ba et K, signatures isotopiques, …).
Nous pensons que ce mécanisme de fusion hydratée peut être important aux
dorsales actives mais l’étude du seul contexte ophiolitique ne
permettait pas de le démontrer : dans un contexte ophiolitique on ne
peut totalement exclure a priori la possibilité d'un magmatisme tardif
lié au charriage ou à une éventuelle subduction. Par chance, des
échantillons présentant des caractères pétrographiques et géochimiques
identiques à nos cumulats boninitiques d'Oman ont été forés au site DSDP
334 en 1974 (dorsale médioatlantique). Ces échantillons ont bien
entendu été amplement étudiés par le passé mais aucune étude géochimique
et isotopique "propre" bénéficiant des technologies récentes n'avait
été réalisée sur ces carottes.
Nous avons soumis une « sample request » à ODP et reçu l'autorisation de
prélever une vingtaine d’échantillons de la moitie "archive" des
carottes de ce site « culte » - les premiers échantillons de la croûte
profonde forés dans les océans ! L’étude de ces carottes, effectuée en
coopération avec Mathieu Benoit, un de nos anciens thésards, et Philippe
Nonnotte, étudiant brestois, a permis de confirmer, sur ce matériel
unique, que les corrélations entre la composition modale, chimique et
isotopique, clé de notre argumentation pour l'hypothèse de la fusion
hydratée, existent bien dans un environnement de dorsale non contestable
(Nonnotte, Ceuleneer, Benoit, EPSL, 2005, sous presse). On voit par
exemple, dans la figure ci-dessous extraite de ce papier, que les cpx du
site 334 se placent sur un trend de boninites (Site ODP 786) et non sur
le trend des cumulats gabbroiques « classiques » de dorsales
échantillonnés en d’autres sites ODP. Les processus géologiques
conduisant à la formation de magmas de type andésite-boninite,
n’existent donc pas uniquement en zone de subduction, mais peuvent très
bien opérer aux dorsales, en contexte d’expansion océanique.
Nés dans un environnement froid, ces liquides " lithosphériques " ne
pourraient migrer sur de longues distances sans cristalliser, ce qui est
en accord avec leur mode d'affleurement sous forme d'essaims de
pegmatites, leur rareté dans les niveaux crustaux de l'ophiolite et des
dorsales et leur absence sous forme de laves émises aux dorsales. Il est
toutefois probable qu'un mélange partiel entre liquides lithosphériques
et liquides asthénosphériques contribue à la variabilité géochimique
des MORBs. C’est une hypothèse relativement provocatrice qui jette un
pavé dans la mare de certaines théories de géo-dynamique chimique, cette
variabilité étant classiquement attribuée à des hétérogénéités
mantellaires.
L’intérêt de ces découvertes est de mieux comprendre ce qui se passe
dans la zone frontière située à l’interface entre hydrothermalisme et
magmatisme, fondamentale pour les échanges géochimiques
lithosphère-hydrosphère, mais encore très peu comprise actuellement. La
poursuite de ce type d’études pourrait constituer un axe de coopération
original avec les modélisateurs de l’équipe (Michel Rabinowicz, Pierre
Genthon, …).
Durant l'hiver 2000-2001, Marie Python a participé à une campagne du RV
Knorr dirigée par Henry Dick (WHOI) le long d'un secteur de la dorsale
sud-ouest indienne qui compte parmi les segments à taux d'expansion les
plus lents de la dorsale océanique mondiale. Cette situation, du fait de
la faible productivité magmatique et de la faible épaisseur crustale,
est idéale pour la mise à l'affleurement de roches du manteau. Les
échantillons de péridotites mantellaires dragués au cours de cette
campagne sont particulièrement riches en veines et filons gabbroïques et
pyroxénititiques. Nous disposerons ainsi d'un point de comparaison très
utile entre l'environnement ophiolitique et un environnement océanique
autre que ceux que nous-mêmes ou nos collègues ont étudiés (zone MARK,
Hess Deep, MAR 15°N, segments moins « lents » de la SWIR, …). Nous avons
initié l’étude des échantillons du Knorr (microsonde et LA-ICP-MS) dans
le cadre du DEA de Céline Dantas (Toulouse, 2003). Nous avons montré
que les pyroxénites étaient différentes à de nombreux points de vue des
pyroxénites d’Oman, en particulier elles correspondent à des cumulats de
plus forte pression et semblent issues d’une source enrichie.
[size=9]
par Georges CEULENEER, Pierre GENTHON, Michel GREGOIRE, Marc MONNEREAU, Anne ORMOND,
Michel RABINOWICZ et Mike TOPLIS.
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Une étude de longue haleine de la répartition des différents types
pétrologiques de structures de migration magmatique affleurant dans le
manteau d’Oman (un millier d’échantillons analysés à la microsonde et
prélevés le long des 400 km de l’ophiolite, en particulier dans le cadre
de la thèse de Marie Python) a débouché sur des résultats originaux et
solidement établis concernant la genèse et la mise en place des magmas
en contexte d’expansion océanique (nature des magmas alimentant la
section crustale, mélanges des fractions magmatiques dans le réseau de
draînage, tamponnage de la composition des MORBs par les processus de
migration, fractionnements profonds, focalisation du magmatisme à l’axe
des dorsales, …). Par exemple, sur l’image ci-dessous, on voit que la
répartition des structures de migration dans le manteau d’Oman
(différentes couleurs sur la carte) n’est pas aléatoire. En particulier
les chenaux de troctolite (en rouge), c’est-à-dire les zones de
circulation de MORB à haute température (circa 1200°C), se concentrent
dans quelques secteurs bien délimités dont le plus étendu est un couloir
long de 80 Km et large d’une vingtaine de Km, parallèle à l’axe de la
paléo-dorsale.
Il y a quelques années, nous avons suggéré, sur base pétrographique et
géochimique qu’une proportion très importante des filons présents dans
la section mantellaire de l’ophiolite d’Oman était issue de la fusion
hydratée de la lithosphère résiduelle à faible profondeur et ne peuvent
donc être expliqués dans le schéma classique de genèse des basaltes de
type MORB par décompression adiabatique du manteau (Benoit, Ceuleneer,
Polvé, Nature, 1999). Nos observations récentes (Python et Ceuleneer,
2003) ont permis de préciser l’importance de ce processus : des massifs
entiers (i.e. des secteurs d’une centaine de Km) n’ont pas « enregistré »
le passage de magmas de type MORB mais renferment d’abondantes reliques
de pegmatites de parenté boninitique (en vert et orange sur la carte
ci-dessus), attestant de la fusion hydratée de la lithosphère. Nous
avons par ailleurs observé des évidences de circulations hydrothermales
de très haute température (circa 700°C-900°C) dans les péridotites
d’Oman sous forme de filons de diopsidites gemmes à structures de type
skarn (cf partie prospective).
Nous pensons aussi que la formation de corps granitiques, peu abondants
mais ubiquistes dans la section mantellaire d’Oman, peut également
s’expliquer dans le cadre de processus similaires. Dans une étude
récente effectuée dans le cadre de la thèse d’Isma Amri (Amri,
Ceuleneer, Benoit, Valladon, soumis à Contrib. Mineral. Petrol.), nous
montrons que, contrairement au modèle classique (intrusions de magmas «
exotiques » produits par fusion de la semelle métasédimentaire), une
partie des corps granitiques présents en Oman peut se former par fusion
incongruente des pyroxènes des harzburgites, les éléments alcalins étant
apportés par les fluides hydrothermaux. L’argumentation combine les
évidences de terrain (présence systématique d’épontes dunitiques autour
des corps granitiques), et les arguments géochimiques (très faible
teneur en Al de ces granites par rapport aux granites d’origine
metasédimentaires, déplétion anormale en éléments traces incompatibles,
sauf ceux transportés par les fluides hydrothermaux comme le Ba,
corrélation entre la teneur en Ba et K, signatures isotopiques, …).
Nous pensons que ce mécanisme de fusion hydratée peut être important aux
dorsales actives mais l’étude du seul contexte ophiolitique ne
permettait pas de le démontrer : dans un contexte ophiolitique on ne
peut totalement exclure a priori la possibilité d'un magmatisme tardif
lié au charriage ou à une éventuelle subduction. Par chance, des
échantillons présentant des caractères pétrographiques et géochimiques
identiques à nos cumulats boninitiques d'Oman ont été forés au site DSDP
334 en 1974 (dorsale médioatlantique). Ces échantillons ont bien
entendu été amplement étudiés par le passé mais aucune étude géochimique
et isotopique "propre" bénéficiant des technologies récentes n'avait
été réalisée sur ces carottes.
Nous avons soumis une « sample request » à ODP et reçu l'autorisation de
prélever une vingtaine d’échantillons de la moitie "archive" des
carottes de ce site « culte » - les premiers échantillons de la croûte
profonde forés dans les océans ! L’étude de ces carottes, effectuée en
coopération avec Mathieu Benoit, un de nos anciens thésards, et Philippe
Nonnotte, étudiant brestois, a permis de confirmer, sur ce matériel
unique, que les corrélations entre la composition modale, chimique et
isotopique, clé de notre argumentation pour l'hypothèse de la fusion
hydratée, existent bien dans un environnement de dorsale non contestable
(Nonnotte, Ceuleneer, Benoit, EPSL, 2005, sous presse). On voit par
exemple, dans la figure ci-dessous extraite de ce papier, que les cpx du
site 334 se placent sur un trend de boninites (Site ODP 786) et non sur
le trend des cumulats gabbroiques « classiques » de dorsales
échantillonnés en d’autres sites ODP. Les processus géologiques
conduisant à la formation de magmas de type andésite-boninite,
n’existent donc pas uniquement en zone de subduction, mais peuvent très
bien opérer aux dorsales, en contexte d’expansion océanique.
Nés dans un environnement froid, ces liquides " lithosphériques " ne
pourraient migrer sur de longues distances sans cristalliser, ce qui est
en accord avec leur mode d'affleurement sous forme d'essaims de
pegmatites, leur rareté dans les niveaux crustaux de l'ophiolite et des
dorsales et leur absence sous forme de laves émises aux dorsales. Il est
toutefois probable qu'un mélange partiel entre liquides lithosphériques
et liquides asthénosphériques contribue à la variabilité géochimique
des MORBs. C’est une hypothèse relativement provocatrice qui jette un
pavé dans la mare de certaines théories de géo-dynamique chimique, cette
variabilité étant classiquement attribuée à des hétérogénéités
mantellaires.
L’intérêt de ces découvertes est de mieux comprendre ce qui se passe
dans la zone frontière située à l’interface entre hydrothermalisme et
magmatisme, fondamentale pour les échanges géochimiques
lithosphère-hydrosphère, mais encore très peu comprise actuellement. La
poursuite de ce type d’études pourrait constituer un axe de coopération
original avec les modélisateurs de l’équipe (Michel Rabinowicz, Pierre
Genthon, …).
Durant l'hiver 2000-2001, Marie Python a participé à une campagne du RV
Knorr dirigée par Henry Dick (WHOI) le long d'un secteur de la dorsale
sud-ouest indienne qui compte parmi les segments à taux d'expansion les
plus lents de la dorsale océanique mondiale. Cette situation, du fait de
la faible productivité magmatique et de la faible épaisseur crustale,
est idéale pour la mise à l'affleurement de roches du manteau. Les
échantillons de péridotites mantellaires dragués au cours de cette
campagne sont particulièrement riches en veines et filons gabbroïques et
pyroxénititiques. Nous disposerons ainsi d'un point de comparaison très
utile entre l'environnement ophiolitique et un environnement océanique
autre que ceux que nous-mêmes ou nos collègues ont étudiés (zone MARK,
Hess Deep, MAR 15°N, segments moins « lents » de la SWIR, …). Nous avons
initié l’étude des échantillons du Knorr (microsonde et LA-ICP-MS) dans
le cadre du DEA de Céline Dantas (Toulouse, 2003). Nous avons montré
que les pyroxénites étaient différentes à de nombreux points de vue des
pyroxénites d’Oman, en particulier elles correspondent à des cumulats de
plus forte pression et semblent issues d’une source enrichie.
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par Georges CEULENEER, Pierre GENTHON, Michel GREGOIRE, Marc MONNEREAU, Anne ORMOND,
Michel RABINOWICZ et Mike TOPLIS.
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