On a vu dans une section précédente qu'une partie des eaux de
précipitation ruissellent à la surface des continents pour former les
cours d'eau, alors qu'une autre partie s'infiltre dans le sol pour
donner ce qu'on appelle les eaux souterraines. Les eaux
souterraines constituent une provision d'eau potable inestimable pour
l'humanité. Dans plusieurs pays, c'est pratiquement la seule source
d'approvisionnement. Au Québec, nous sommes habitués à compter sur les
eaux de ruissellement (lacs, rivières, fleuve) pour notre
approvisionnement en eau potable, mais de plus en plus, individus et
municipalités se tournent vers cette richesse que constituent les nappes
phréatiques. Celles-ci contiennent un volume énorme d'eau exploitable.
En milieu urbain ou industriel, les nappes phréatiques peuvent devenir
rapidement fragiles à la surexploitation ou à la contamination.
Géologues et ingénieurs géologues commencent à peine à faire
l'inventaire de cette ressource et à développer des outils pour une
protection et une exploitation rationnelles. Contrairement
à la croyance souvent répandue que ces eaux sont stockées dans des
sortes de rivières ou de grands lacs souterrains, les eaux souterraines
sont contenues dans les pores des sédiments ou des roches. En
fait, il faut savoir que la croûte terrestre contient des fluides
jusqu'à de très grandes profondeurs, pratiquement sur toute son
épaisseur, soit plusieurs milliers de mètres. Quand on parle d'eaux
souterraines, on se réfère, en pratique, aux eaux qui se trouvent dans
la partie superficielle de la croûte, quelques centaines de mètres au
maximum, celles qui sont propres à notre consommation. Plus on s'enfonce
dans la croûte, plus l'eau devient riche en divers sels minéraux et
métaux, ce qui la rend impropre à la consommation. Si les
matériaux du sous-sol sont perméables, les eaux de pluie s'infiltrent et
finissent par s'accumuler à partir d'un certain niveau, ce qui délimite
deux grandes zones en ce qui concerne les eaux souterraines: la
nappe phréatique, une zone où toutes les cavités (pores du sédiment, fractures des roches, cavernes, etc.) sont saturées en eau; la
zone vadose, une zone où les cavités contiennent principalement de l'air avec un peu d'eau (celle attachée aux parois des cavités).
La
nappe phréatique correspond au volume d'eau de la zone phréatique,
alors que le niveau phréatique (en anglais: water table) correspond à la
surface supérieure de la zone phréatique. Le terme de nappe phréatique
est aussi souvent employé comme synonyme de niveau phréatique. La
circulation dans la zone vadose se fait à la verticale. Mais dans la
nappe phréatique, l'eau souterraine circule un peu comme à la suface,
c'est-à-dire latéralement comme l'indiquent les flèches. Il peut arriver
qu'il y ait localement dans du matériel aquifère, une zone de matériaux
aquicludes, comme une couche d'argile par exemple. Cette couche forme
une barrière à l'eau et permet l'accumulation d'une lentille d'eau dans
la zone vadose. On parle alors de nappe perchée. C'est par exemple ce
genre de nappe qui peut donner naissance à une source.
L'approvisionnement en eau potable Elle se fait par deux types de puits: le puits de surface et le puits artésien. On appelle
puits de surface un puits qui s'approvisionne directement dans la nappe phréatique. Le
pompage dans un puits de surface a pour effet de former autour du puits
un cône de dépression. Un excès de pompage abaissera le niveau
phréatique et pourra contribuer à assécher d'autres puits avoisinants.
Le
puits artésien est un puits qui s'approvisionne dans un aquifère confiné par un
aquiclude et mis sous pression à la faveur d'une zone de recharge. Le
schéma qui suit montre que la recharge en eau de l'aquifère se fait à
partir de la surface du terrain, créant dans l'aquifère une pression
croissante avec la profondeur.
Au
point où on a percé l'aquiclude, la pression dans l'aquifère fait en
sorte que l'eau va jaillir si la bouche du puits se situe sous la
surface piézométrique. Si la bouche du puits se situait au-dessus de la
surface piézométrique, il n'y aurait pas de jaillissement; l'eau
atteindrait dans le puits la hauteur de la surface piézométrique. C'est
une question d'équilibre entre la zone de recharge ouverte à la pression
atmosphérique et le puits aussi ouvert à la pression atmosphérique (le
principe des vases communicants). Ceci explique qu'il faut une zone de
recharge qui soit au-dessus de la bouche du puits. On pourrait avoir
facilement un puit artésien dans une plaine qui borde une zone
montagneuse, si la recharge se fait en montagne, mais il serait
impossible d'avoir un puits artésien jaillissant si la zone de recharge
ne se trouvait que dans la plaine.
La contamination d'une nappe phréatique L'enfouissement
des substances polluantes doit tenir compte de la nature des terrains.
Ce postulat qui semble pourtant des plus évidents n'est pas toujours
pris en considération. Par exemple, un enfouissement sur
des matériaux poreux comme les sables et les graviers ne peut conduire
qu'à une dispersion des contaminants sur de grandes distances, lentement
mais sûrement.
On
croit généralement que l'enfouissement sur le roc solide est un gage de
sécurité. La roche est souvent fracturée; elle peut alors être très
perméable et constituer un excellent aquifère.
La
roche de fond n'est pas toujours homogène. Même si l'ensemble des
couches apparaît à première vue non fracturé et imperméable, il faut
bien s'assurer qu'il n'y a pas une ou des couches qui soient perméables
et qui pourrait agir comme transporteurs de contaminants.
Un enfouissement dans les argiles offre beaucoup moins de risques, car ce genre de sédiment est passablement imperméable.
Il
faut bien s'assurer cependant que la couche d'argile soit suffisamment
épaisse pour que l'enfouissement n'atteignent pas des couches
sous-jacentes qui seraient perméables. Un autre type de
contamination est fréquent dans les régions côtières. Il s'agit de la
contamination des puits par l'eau salée. En bord de mer, dans les
régions de plaines surtout, les eaux salées, plus denses que les eaux
douces potables, s'infiltrent sous ces dernières jusqu'à une certaine
distance à l'intérieur du continent. L'eau douce "flotte" en quelque
sorte sur l'eau salée.
Le
pompage de l'eau douce entraîne la création normale d'un cône de
dépression à la surface de la nappe phréatique; en réaction à ce cône de
dépression, il se forme un cône inverse sous la lentille pour
rééquilibrer les masses de densités différentes.
Un
surpompage entraînera un abaissement du niveau phréatique et, en
réaction, une remontée de la surface des eaux marines phréatique. Un
puits qui pendant un certain temps a pompé de l'eau douce peut
subitement se mettre à pomper de l'eau salée, comme l'indique le schéma
qui suit.
Une
montée du niveau marin s'accompagnera d'une montée de la nappe
phréatique marine sous la plaine littorale, entraînant le pompage d'eau
salée dans les puits. C'est là une situation qui risque de se produire
avec la montée prévue du niveau des mers reliée au réchauffement
climatique en cours et qui peut s'avérer particulièrement désastreuse
dans les zones deltaïques à forte densité de population.
Les terrains karstiques Les
eaux souterraines modèlent les terrains calcaires d'une façon bien
particulière: les eaux de pluies dont sont issues les eaux souterraines
sont naturellement acides et dissolvent le calcaire en circulant dans
les fractures de la roche, créant tout un réseau de cavernes. Ces
terrains calcaires sont appelés des terrains karstiques (du mot karst,
terrains calcaires de Yougoslavie). L'évolution des terrains karstiques est la suivante.
Pour
un terrain donné, le niveau de la nappe phréatique correspond en gros
au niveau des cours d'eau. Comme ces eaux phréatiques sont acides, elles
développent tout un réseau de cavités en s'infiltrant le long des
moindres fractures et en les aggrandissant par dissolution. Avec
le creusement des cours d'eau qui tendent vers leur niveau de base, il y
aura abaissement progresssif du niveau de la nappe phréatique. Le
réseau de cavités progresse en profondeur au même rythme, développant un
beau réseau de cavernes.
Les
terrains vont devenir un véritable gruyère avec, par exemple, des
effondrements qu'on appelle des dolines et qui rendent ces terrains
souvent dangereux.
Les
terrains calcaires font certes la joie des spéléologues en présentant
parfois des cathédrales de stalagtites, stalagmites, draperies et dépôts
de cavernes de toutes sortes (voir au point 2.1.5), mais ils
constituent de véritables dangers pour la construction. Le terme général
de spéléothèmes est utilisé pour tous ces dépôts.
L'hydrothermalisme L'hydrothermalisme
constitue un cas particulier chez les eaux souterraines. On sait que la
température du sous-sol augmente avec la profondeur. Les mineurs savent
bien qu'il fait plus chaud à mesure que l'on descend dans la mine.
Cette augmentation de température est de l'ordre de 30°C par kilomètre
(3°C par 100 mètres) dans la plupart des terrains où il n'y a pas eu de
magmatisme récent: c'est ce que l'on appelle le
gradient géothermique.
Dans les terrains qui ont connu récemment du magmatisme (volcanisme,
par exemple), le gradient géothermique est beaucoup plus élevé que
30°C/km. Des eaux chaudes à très chaudes peuvent remonter à la surface,
donnant lieu à de l'hydrothermalisme. Un bon exemple
d'hydrothermalisme nous est donné par les geysers et sources chaudes du
Parc Yellowstone aux U.S.A. Dans ce parc national américain (nord-ouest
du Wyoming), on peut observer les manifestations spectaculaires de
l'hydrothermalisme, telles les geysers, les sources chaudes, les lacs de
boues chaudes et tous les dépôts qui y sont associés. Cette portion de
la plaque continentale nord-américaine se situe au-dessus d'un point
chaud qui a produit du volcanisme intraplaque il y a à peine quelques
centaines de milliers d'années. Aujourd'hui, le magma se refroidit et la
chaleur se dissipe dans la croûte continentale, créant un flux de
chaleur constant, comme l'indique le schéma qui suit.
Les
eaux de surface, c'est-à-dire les eaux de pluies, s'infiltrent dans les
fractures de la croûte, sont réchauffées et, comme dans le cas de
l'hydrothermalisme des fonds océaniques, elles sont ramenées à la
surface grâce à ce flux de chaleur qui établit une cellule de
convection. Les eaux hydrothermales sont acides et
produisent énormément de dissolution. Elles créent des réseaux de
cavités dans le sous-sol qui est composé par endroits de rhyolite (roche
volcanique) et ailleurs de calcaires.
Le
flux de chaleur chauffe l'eau des cavités qui progressivement passe en
vapeur. La pression dans les cavités d'un réseau donné augmente
progressivement, comme dans une marmite couverte, jusqu'à ce que, la
pression devenant trop élevée, la vapeur soit évacuée subitement, vidant
tout le réseau, comme lorsque saute le couvercle de la marmite. C'est
le
geyser. Le cycle recommence avec le remplissage à nouveau des
cavités par l'eau qui, chauffée, passe en vapeur, puis explose. C'est le
cas du fameux geyser "Old Faithfull" à Yellowstone qui, depuis des
dizaines d'années, fait éruption périodiquement à chaque heure. A
Yellowstone, il n'y a pas que des geysers, il y a aussi des sources
d'eaux chaudes qui forment des petits chaudrons bouillonnants ou des
petits étangs chauds alimentés par des sources provenant d'un réseau où
les eaux ne sont pas confinées. Les eaux des sources
hydrothermales et des geysers sont chargées en sels minéraux acquis en
profondeur. Avec l'écoulement des eaux en surface, ces sels minéraux
précipitent pour former des amoncellements de dépôts siliceux ou
calcaires. Un aspect intéressant de ces sources
chaudes est qu'elles constituent une source d'énergie thermique
gratuite. Il faut voir cependant qu'elles n'existent en général que dans
les régions qui ont connu du magmatisme récent, mais pas exclusivement.
Par exemple, dans les Appalaches de Virginie (U.S.A.), il y a des
sources chaudes qui proviennent d'eaux qui ont été réchauffées en
profondeur uniquement à cause du gradient géothermique; ces eaux
cependant ont des températures à peine plus élevées que celle du corps
humain. En Islande, où l'activité magmatique est actuelle, on utilise
cette forme d'énergie pour le chauffage de serres, ce qui permet une
culture qui serait pratiquement impossible autrement sous un tel climat
nordique. Aussi, plusieurs attribuent des vertus thérapeutiques à ces
sources chaudes et fréquentent assidûment les thermes.